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Pourquoi on pense que les noirs ne se suicident pas?

26 mars 2021




Le suicide comme réalité peut être considéré comme un sujet tabou dans les communautés d’origine africaine. Tout le monde sait que ça existe, mais on n’en parle pas ou alors très peu. Quand bien même nous apprenons qu’une personne s’est donné la mort, nous sommes surpris d’apprendre que cette personne était d’origine africaine.


Il est assez difficile pour beaucoup d’entre nous de comprendre qu’une personne puisse se suicider. Et cela peu importe le problème qu’il peut avoir ou la souffrance dont il peut être victime. Nous tombons en général très vite dans le jugement et les préjugés. On l’accuse d’avoir voulu faire « comme les blancs », parce que nous les Noirs, on ne se suicide pas. Cette croyance, bien ancrée dans l’inconscient collectif, trouve ses origines dans notre éducation et notre rapport à la mort.


Il y a quelques années, j’ai assisté à une scène qui m’a beaucoup impressionnée. Un voisin avait été retrouvé mort et son corps était exposé dans sa cour. La foule s’empressait autour du cadavre, qui était par terre, sans cercueil. Ce qui m’a frappé à l’époque, c’était l’ambiance qui régnait dans cette cour. Personne ne pleurait, pas même sa famille. Les visages étaient soucieux, interrogateurs, renfrognés. C’était du « jamais vu », pour employer l’expression des badauds.


Devant mon incompréhension totale, un oncle m’a dit ceci : « C’est une mauvaise mort, on ne pleure pas les gens qui ont décidé de partir. Sa famille va vite l’enterrer, il n’y aura pas de cérémonie ». Comme j’insistais pour comprendre pourquoi il ne serait pas traité comme les autres, mon oncle m’a répondu avec dureté : « Ne t’intéresse pas à ces choses-là, et surtout, ne fais jamais ça ! Si tu te suicides, c’est toi qui perds, personne ne va te pleurer ». Rien que le ton de sa voix m’a fait comprendre qu’il ne fallait plus jamais aborder le sujet. J’ai appris ce jour que le suicide était tabou, c’était une honte pour la famille, un aveu d’échec, voire une malédiction.


Dans certaines tribus donc, on ne pleure pas les suicidés et on les enterre dans l’anonymat. Pour éviter cela, certains suicides sont camouflés comme étant des morts naturelles. Ce faisant, la famille veut protéger la mémoire du défunt et éviter la honte par la même occasion. Au moins la personne décédée aura droit aux derniers hommages et à une cérémonie d’enterrement.


Pourquoi pense-t-on qu’un Africain ne peut pas se suicider ?

On nous éduque en nous enseignant que nous ne nous appartenons pas. Nous sommes membres à part entière d’une grande famille. Nous n’avons pas le droit de faire ce que nous voulons de notre vie. Il faut toujours penser aux répercussions que nos actes pourraient avoir sur la famille, la communauté. Le regard des autres est donc très important. L’honneur et le respect de toute la famille passe par le comportement de ses membres. Combien de fois n’a-t-on pas entendu des paroles du type : « Tu veux mettre la honte sur ta famille ? », « Les gens vont nous pointer du doigt », « As-tu pensé à tes parents ? », « Ne salis pas la famille s’il te plaît », « Les gens vont dire quoi ? ».


Présenté de cette façon, le suicide est forcément perçu comme un affront, un acte de pur égoïsme. Se donner la mort, c’est ignorer la souffrance qu’on va causer aux personnes qui nous aiment et qui tiennent à nous. C’est jeter l’opprobre sur toute la famille. Les gens ne diront pas que X s’est suicidé, mais plutôt que le fils ou la fille d’Untel s’est suicidé. Que le mari ou la femme d’Untel a mis fin à ses jours. Quoi qu’on fasse donc, l’acte individuel aura toujours un impact collectif.


Qui plus est, la vie est un don précieux qu’il faut respecter. On ne devrait pas la supprimer selon notre bon vouloir, car elle ne nous appartient pas. « On ne s’invite pas auprès de Dieu », nous a-t-on appris.

Les personnes d’origine africaine présentent donc des facteurs de protection qui les dissuadent de commettre des actes tels que le suicide. Autrement dit, elles ont des ressources (personnalité, éducation, croyances, support social, religion) qui devraient les préserver des passages à l’acte suicidaire.

Toutefois, cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas se suicider. La probabilité est juste beaucoup plus faible qu’ailleurs. Et au cas où les facteurs de protection diminuent ou changent, on peut alors devenir potentiellement à risque.


Yann V. TSOBGNI


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