Chinua Achebe, sur l’esprit de famille, dans Le monde s’effondre

30 juillet 2021


Crédit photo: chinua Achebe

La famille, c’est sacré dit-on.

Vous avez sûrement déjà lu ou entendu ce proverbe quelque part. Peut-être l’avez-vous-même dit au détour d’une conversation entre amis, occupé.e que vous étiez à deviser sur le monde et sur vos liens indéfectibles. Ou alors, vous l’avez déjà entendu de votre père ou de votre mère, telle une remontrance face à l’engouement timide que vous consacriez à vos relations familiales.

Quoiqu’il en soit, l’effervescence créée autour de ces cinq mots, généralement partagés avec tous ceux que l’on considère comme faisant partie de notre « safe space », vient soulever les interrogations suivantes : Quelle est cette famille à qui nous devons jurer fidélité ? À celle de cœur ou celle de sang ? Quand bien même cette première n’aurait pas rempli ses obligations envers nous ? Et puis dans ce cas de figure, doit-on préférer la famille nucléaire à celle élargie ?

Bien loin de ces questionnements, Chinua Achebe aborde non seulement l’importance des liens de sang mais aussi de la communauté dans sa première œuvre Le monde s’effondre. Il critique l’acculturation engendrée par la colonisation chez les africains et plus particulièrement le fait qu’elle ait contribué à amoindrir l’importance du vivre ensemble chez les jeunes, pousses perméables au changement. L’auteur nigérian nous partage ainsi ses craintes dans l’extrait suivant :

 « J'ai peur pour vous, jeunes gens, parce que vous ne comprenez pas la force des liens familiaux. Vous ne savez pas ce que c'est de parler d'une seule voix. Et le résultat ? Une abominable religion s'est installée parmi vous. Un homme peut désormais quitter son père et ses frères. Il peut insulter les dieux de ses pères et de ses ancêtres comme un chien de chasse qui devient fou et se retourne contre son maître. J'ai peur pour vous, j'ai peur pour le clan. »

Il prescrit en ce sens, les rassemblements, comme un remède au délitement des relations familiales et communautaires. 

En effet, pour lui, se réunir, c’est avant tout renforcer les liens à travers un partage mutuel de soi, comme en témoigne ces quelques lignes :

« Celui qui invite ses parents à un festin ne le fait pas pour leur éviter de mourir de faim. Ils ont tous à manger chez eux. Quand nous nous réunissons sur la place du village éclairée par la lune, ce n’est pas pour la lune. Chacun peut la voir de chez lui. Nous nous réunissons parce qu’il est bon pour des parents de le faire. »

Ces sages paroles de Chinua Achebe se veulent une exhortation à la réflexion sur la place que nous accordons à notre famille et à notre communauté, dans notre quotidien.

Une invitation à peut-être prendre un moment pour soi, et à se résoudre à passer ce coup de fil qui se fait attendre.

 

La famille s’effondre, le monde aussi…

Avec ce roman, Chinua Achebe vient signifier le glas d’un pan important des systèmes sociaux africains, challengés par la colonisation. Les terres et les identités ont été spoliées ; de ce fait, pour bon nombre des peuples concernés, le monde s’est effondré parce qu’il est devenu méconnaissable.

Cependant, loin d’idéaliser l’Afrique précoloniale, Le Monde s’effondre s’évertue aussi à décrire ses travers qui ont servi de terreau fertile à l’envahisseur. En effet, selon Achebe, c’est sur la base de certaines coutumes discutables qu’il a été plus facile pour le colon d’introduire dans les esprits, les racines mortifères de l’acculturation. Ainsi, pour y remédier, les africains doivent se désolidariser et entamer un retour à leur identité en se réappropriant leurs coutumes – les bonnes – tout en omettant les mauvaises, de sorte à éviter qu’une tragédie similaire ne se reproduise.

 

Un défenseur de la négritude

 Le roman de Achebe, vendu à plus de 20 millions d’exemplaires dans le monde et traduit en 50 langues, s’inscrit dans la mouvance de la négritude qui est un mouvement littéraire et politique né à la fin des années 30 et institué par Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas et Aimé Césaire. Ils le définissent comme « l’ensemble des caractéristiques et valeurs culturelles des peuples de race noire, revendiquées comme leur étant propres, ainsi que l’appartenance à cette race. »*     

Son désir de soutenir ce retour des communautés noires à leur essence lui est apparu très jeune, alors qu’il remarquait que les livres qu’il utilisait à l’école dépeignaient l’Afrique à travers une narrative occidentale péjorative. « Je savais qu’il fallait faire quelque chose, expliquera-t-il, que je définisse ma place dans le monde en rédigeant une histoire à propos de mes origines et de mon peuple. C’était comme s’il y avait un trou sur l’étagère des livres, comme si on en avait enlevé certains. »**  

 

Sources :


* « Définition : Négritude ». s. d. Consulté le 25 juillet 2021. https://www.toupie.org/Dictionnaire/Negritude.htm.

** Le Monde.fr. 2021. « « Tout s’effondre », l’hommage à l’Afrique antecoloniale à l’heure de sa désagrégation », 10 juillet 2021. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/10/livre-tout-s-effondre-un-hommage-a-l-afrique-ante-coloniale-a-l-heure-de-sa-desagregation_6087806_3212.html.

                                                                

Par Fatou Coulibali

 


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