Le racisme expliqué à ma fille, Tahar Ben Jelloun
27 juillet 2021
Le racisme – s’il nous faut encore le définir – est un phénomène qui consiste à hiérarchiser des groupes ethniques, au nom d’une supposée supériorité intellectuelle et morale de la peau blanche par rapport à d’autres couleurs de peau plus foncées. Cette théorie est relayée par des études scientifiques discutables – telles que la craniométrie ou la phrénologie – qui ont contribué à raffermir l’idée de l’existence de races. Cette erreur fondamentale sera résolue dans les années 2000, quand la science réalisera que 99,7 % des gènes humains sont semblables, et qu’il y a plus de similarités entre membres de groupes ethniques différents qu’entre membres issus du même groupe*
Dès lors, la question apparaît évidente : pourquoi malgré ce mea-culpa scientifique, le racisme existe encore des années plus tard ?
L’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun – qui n’est issu d’aucune communauté noire mais qui a tout d’un sage, d’où sa présence dans cette rubrique - se propose de répondre à cette interrogation dans son œuvre Le racisme expliqué à ma fille, parue en 1998. Il s’emploie en effet à décortiquer, de façon simple et quelque peu romancée, la notion de racisme, en plaçant avec justesse la thématique de l’amour au centre d’un phénomène qui se veut méprisant de l’autre. C’est ainsi qu’il aborde l’antinomie entre amour de soi et rejet de l’autre, dans un dialogue qui se veut attachant :
« - C'est quoi le refus, le rejet ?
- C'est le fait de fermer la porte et les fenêtres. SI l'étranger frappe à la porte, on ne lui ouvre pas. S'il insiste, on ouvre, mais on ne lui permet pas de rester. On lui signifie qu'il vaut mieux aller ailleurs, on le repousse.
-Et ça donne la haine ?
- Ça, c'est la méfiance naturelle que certaines personnes ont les unes pour les autres. La haine est un sentiment plus grave, plus profond, car il suppose son contraire, l’amour ;
- Je ne comprends pas, de quel amour tu parles ?
- Celui que l'on pour soi-même
- Ça existe des gens qui ne s'aiment pas ?
- Quand on ne s'aime pas on n’aime personne. C'est comme une maladie. C'est une misère. Très souvent le raciste s'aime beaucoup. Il s'aime tellement qu'il n'a plus de place pour les autres. D'où son égoïsme.
- Alors le raciste est quelqu'un qui n'aime personne et est égoïste. Il doit être malheureux. C'est l'enfer. »
Quelle leçon en tirer ?
On comprend aisément que, sans vouloir justifier le racisme, l’auteur veut le détacher de tout ce qui pourrait contribuer à l’humaniser. Toutefois, devoir de mémoire oblige, il reste important de rappeler que le racisme est un choix, une attitude, ou un comportement ; celui de rabaisser et parfois rejeter celui qui ne me ressemble pas de sorte à élever celui à qui je m’identifie.
Nous serons probablement du même avis que Tahar Ben Jelloun, celui selon lequel le choix de haïr est difficilement réversible, car comme il le rappelle si pertinemment : « La haine est tellement plus facile à installer que l'amour. Il est plus facile de se méfier, de ne pas aimer que d'aimer quelqu'un qu'on ne connaît pas. »
À l’origine du livre
Tahar Ben Jelloun est inspiré par une « observation sociale » **. Il raconte en effet avoir été témoin des abus subis par des africains noirs abandonnés par leurs passeurs au Maroc, alors qu’il se dirigeaient clandestinement à destination de l’Europe. Selon lui, ces manifestations de racisme d’abord mineures ont commencé à prendre de l’ampleur à partir des années 2000, d’où la nécessité d’adresser en littérature, ce phénomène.
Le cas du Maroc n’est pas isolé, puisque la problématique de la négrophobie peut être observée de façon plus ou moins soft dans l’ensemble du Maghreb. En témoignent par exemple, les fameux marchés aux esclaves libyens découverts en 2017 par l’intermédiaire des réseaux sociaux ; en Tunisie – où le racisme est devenu pénalement punissable en 2018 -, comme en Algérie, d’autres incidents du même acabit prennent place. Pour l’essayiste franco-sénégalais Tidiane N’Diaye, le racisme au Maghreb serait intimement lié à son passif esclavagiste qui a commencé en 652 avec le traité de Bakht signé entre l’Égypte et le royaume nubien qui assure à ce dernier des relations diplomatiques avec l’empire pharaonique en échange d’esclaves***. L’arrivée de la colonisation et l’utilisation de la science à des fins justificatives auraient donc contribuer à renforcer l’idée d’une hiérarchie de la carnation qui existait déjà dans le nord de l’Afrique.
Ben Jelloun vient donc rejoindre les rangs bien que trop déserts des militants contre le racisme anti-noir au Maghreb. À l’ère "Floyd", dans une région encore insensible à la lutte contre le racisme une mobilisation au mouvement Black Lives Matter****, le soutien des intellectuels devient indispensable.
Un militantisme en demi-teinte
Bien loin des valeurs cardinales plébiscitées par son roman, Tahar Ben Jelloun et sa femme ont été accusés en 2000, de maltraitance envers leur femme de ménage qu’ils auraient recruté au Maroc puis ramené en France. Bien que l’affaire n’ait pas emprunté le chemin des tribunaux et que le lauréat du Goncourt ait opposé une autre version des faits à ces accusations, sa légitimité de militant des droits humains a été ternie – à tort ou à raison - par ce scandale.
Sources :
* @NatGeoFrance. 2018. « Le racisme scientifique, histoire d’un contresens ». National Geographic. 9 avril 2018. https://www.nationalgeographic.fr/sciences/le-racisme-scientifique-histoire-dun-contresens.
** « Toulouse. Tahar Ben Jelloun : « On est toujours victime du racisme des autres » - ladepeche.fr ». s. d. Consulté le 22 juillet 2021. https://www.ladepeche.fr/article/2016/06/19/2368702-tahar-ben-jelloun-est-toujours-victime-racisme-autres.html.
*** Sadai, Célia. 2021. « Racisme anti-Noirs au Maghreb : dévoilement(s) d’un tabou ». Herodote N° 180 (1) : 131‑48.
**** Le Monde.fr. 2020. « Black Lives Matter mobilise peu au Maghreb malgré un racisme « ordinaire » », 21 juillet 2020. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/07/21/black-lives-matter-mobilise-peu-au-maghreb-malgre-un-racisme-ordinaire_6046828_3212.html.
Fatou Coulibali.
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