L’acculturation selon Aminata Sow Fall

July 30, 2021


Crédit photo: Aminata Sow Fall


Dans son roman l’Appel des arènes nominé au prix Goncourt en 1979 et au Prix international pour les lettres africaines, Aminata Sow Fall aborde la thématique de l’acculturation face à l’influence d’une culture étrangère. Ainsi, son personnage Diattou se veut critique des us et coutumes de son village, après un séjour en Occident, comme nous pouvons le constater dans l’extrait suivant :

 « Voilà où peut mener ce complot social que j’ai toujours détesté. Guidé par l’aveuglement de l’instinct plutôt que par la lumière de la raison. Mais alors la raison, quelle force a-t-elle si elle ne peut pas balayer ces croyances et ces mythes fondés sur rien ? Si elle ne peut pas tout ramener à la rigueur mathématique, quel est son intérêt ? Me voici victime de ces pressions collectives, haïes et combattues. Quelle aberration !

Le souvenir du village l’a assailli sous la forme d’une pieuvre. Elle a résisté et s’est contracté la gorge, comme si on lui demandait de revenir à ses vomissures.

A son retour d’Occident, lorsqu’elle était partie pour récupérer son fils Nalla, elle avait débarqué en mini-jupe. Son accoutrement et ses cheveux coupés ras avaient scandalisé les villageois. La stupeur n’était pas encore passée qu’elle osa se promener dehors en pantalon, cigarette au coin des lèvres. Les villageois, en observant ses fesses en forme de calebasses moulées dans le pantalon et en les voyant rebondir lorsqu’elle marchait, avaient pensé que Diattou leur jouait une scène de dérision. Mais ils n’en avaient pas ri. Une profonde secousse les avait ébranlés et en premier lieu, Mame Fari.

- Diattou, as-tu tout ton esprit ? avait demandé sa mère.

Ses éclats de rire avaient résonné dans le ventre de Mame Fari comme une insolence. Elle n’avait pas perçu l’horreur que montrait le visage de sa mère.

- Bien sûr que j’ai tout mon esprit ! Pourquoi tu me le demandes ?

- Ta mise est indécente, ma fille… que diront les gens ?

- Mais, ils n’ont rien à dire ! Ce que je fais ne les regarde pas. Est-ce que je me mêle de leurs affaires ?

- C’est notre tradition de nous regarder et de nous redresser mutuellement, ma fille.

- Le monde n’est plus ce qu’il était hier. Personne ne peut arrêter le progrès. Il faut vivre dans son siècle, sous peine de s’éteindre. Notre siècle, c’est celui du progrès et de la liberté.

Mame Fari n’avait pas eu le courage de rapporter cette conversation. Elle avait senti que la colère grondait dans les cœurs. Et aussi l’indignation. Le conseil des anciens avait été réuni.

- Je ne vous appartient pas, avait dit Diattou, sans pudeur et sans le moindre respect pour ces braves laboureurs aux mains calleuses et à la barbe blanche. Vous n’êtes ni mon père ni ma mère, vous n’avez donc pas à vous mêler de mes affaires. Je suis grande maintenant. Je suis majeure. Je peux disposer de ma personne comme je l’entends. Personne n’est mon tuteur. »


Une analogie de l’imaginaire africain post-colonisation

Aminata Sow Fall présente ici deux erreurs communes à l’imaginaire africain post-colonisation.

Dans un premier temps, il y a cette idée de régression associée aux coutumes et traditions africaines, comme si les mœurs occidentales reflétaient le progrès – l’un des vestiges de la colonisation - alors qu’elles ne représentent que ce qu’elles sont, c’est-à-dire des façons de vivre et de faire différentes. Il n’est donc pas possible de mettre en comparaison des cultures qui ne se ressemblent pas et de les placer dans un rapport de hiérarchie.

Dans un second temps, il y a ce rejet radical des croyances africaines qui sont perçues comme diamétralement opposées à la raison. Cette idée partagée par bon nombre d’intellectuels occidentaux à l’époque, a d’ailleurs servi à justifier les visées impérialistes des colons. L’un des philosophes les plus prolixes à ce sujet, Hegel, déclare :

« Ce qui détermine le caractère des nègres est l'absence de frein. Leur condition n'est susceptible d'aucun développement, d'aucune éducation (...). Celui qui veut connaître les manifestations épouvantables de la nature humaine peut les trouver en Afrique. Les plus anciens renseignements que nous ayons sur cette partie du monde disent la même chose. Elle n'a donc pas, à proprement parler, une histoire. » * 

Cette vision occidentale péjorative de l’Afrique va être adoptée par les africains qui placeront leurs croyances et coutumes dans le lot de l’archaïque et adopteront les mœurs occidentales désormais considérées comme l’étape suivante sur l’échelle du progrès.

S’il est vrai que l’avancée du temps rend nécessaire l’abandon de certaines pratiques archaïques, cela prévaut pour toutes les sociétés du monde, en passant de l’Occident à l’Orient. Le primitif n’est en aucun cas arrimé aux traditions africaines. Ce qui signifie qu’il y a certes du mauvais à abandonner, mais qu’il y a aussi du bon à garder.

Ainsi, pour l’auteure sénégalaise, des habitudes comme le respect des aînés, peuvent ne pas trouver résonance chez certains, mais dans la plupart des sociétés africaines, elles restent des données importantes qui participent à la solidification du tissu social.

Sans mettre en porte les mœurs occidentales adoptées par les africains, Aminata Sow Fall signe ce roman comme une invitation à reconstruire nos rapports avec nos propres cultures.

 


Sources :

 * Le Monde.fr. 2010. « “Hegel et l’Afrique. Thèses, critiques et dépassements”, de Benoît Okolo Okonda : philosopher en Afrique, avec et contre Hegel », 1 juillet 2010. https://www.lemonde.fr/livres/article/2010/07/01/hegel-et-l-afrique-theses-critiques-et-depassements-de-benoit-okolo-okonda_1381553_3260.html.

 

Par Fatou Coulibali

 


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