Sorcellerie ou maladie mentale?

30 juillet 2021



En Afrique, la sorcellerie est généralement perçue comme une intervention du mystique et du surnaturel sur le cours naturel des événements. Elle est donc prisée pour sa capacité à pouvoir améliorer le niveau de vie ou à satisfaire les désirs – cardinaux ou non – de ces utilisateurs. On entend alors parler de magie noire qui peut amener à recourir à certaines pratiques subversives à l’instar des sacrifices humains.

L’influence de la sorcellerie sur le destin ainsi entĂ©rinĂ© dans l’imaginaire collectif, permet de justifier un certain nombre de phĂ©nomènes malheureux ou inexpliquĂ©s. Qui plus est, au-delĂ  d’une simple thĂ©orie explicative, elle aurait une influence sur la façon dont les cas de maladies mentales ou de perturbations sont pris en compte. 

Certains symptômes sont donc considérés comme le fruit d’un acte de sorcellerie et non les signes d’une maladie mentale. Les conséquences d’un acte malveillant qu’il faut dénoncer, désamorcer et punir le cas échéant.

Nous nous rĂ©fĂ©rerons Ă  un extrait de la revue SantĂ© Internationale Ă©ditĂ© par les Presses de Sciences Politiques pour mieux comprendre ce dernier point. 

« Dans la quasi-totalitĂ© des pays du continent africain, le comportement de la population Ă  l’égard de la maladie mentale est encore fortement empreint de croyances traditionnelles en des causes et des remèdes surnaturels. Les malades sont souvent considĂ©rĂ©s comme « possĂ©dĂ©s » par l’esprit des ancĂŞtres ou agressĂ©s par la sorcellerie. Cela entraĂ®ne des rĂ©ponses inadaptĂ©es et contribue Ă  stigmatiser ceux qui souffrent de maladies mentales. 

Ce sont les guĂ©risseurs et les dirigeants religieux qui sont ainsi amenĂ©s Ă  traiter les maladies mentales en raison de l’influence de la tradition et du manque d’infrastructures adĂ©quates. Malheureusement, l’hĂ´pital n’est souvent que le dernier recours utilisĂ© par les malades pour des cas restĂ©s sans espoir pour les familles. D’ailleurs, la plupart des patients qui se prĂ©sentent dans les rares hĂ´pitaux psychiatriques ont reçu des soins traditionnels d’un ou de plusieurs tradipraticiens. 

Par exemple, 90 % des troubles mentaux au SĂ©nĂ©gal et 85 % en Éthiopie sont traitĂ©s par la mĂ©decine traditionnelle. Cela a une influence inĂ©vitable sur la fourniture de services de soins de santĂ© mentale et sur les responsables politiques. 

En effet, ces derniers considèrent souvent qu’une maladie mentale est incurable ou qu’elle ne rĂ©pond pas aux pratiques mĂ©dicales classiques. Il est vrai que les pratiques traditionnelles sont souvent caractĂ©risĂ©es par des mĂ©thodes peu hygiĂ©niques, voire nuisibles, mais les tradipraticiens se dĂ©fendent en invoquant le statut dont ils jouissent dans la communautĂ© comme preuve de leur efficacitĂ©. Les Ă©tudes et la recherche viennent bien confirmer ce phĂ©nomène : l’examen de l’itinĂ©raire thĂ©rapeutique des patients d’un Ă©tablissement de soins au Nigeria montre que près de 20 % d’entre eux avaient dĂ©jĂ  consultĂ© un guĂ©risseur traditionnel [Gureje, Acha et Odejide, 1995] et dans une Ă©tude analogue au Caire, un chiffre plus important a Ă©tĂ© relevĂ© [OMS, 2001]. Ce qui a pour corollaire un manque criant de psychiatres dans les pays africains. 

Selon l’OMS, il y aurait environ un psychiatre pour 5 millions d’habitants, contre un pour 1 000 en Europe [OMS, 2001]. L’Éthiopie illustre parfaitement cette défaillance en ne comptant que dix psychiatres pour toute sa population (85 millions d’habitants). Au-delà de l’existence d’une médecine traditionnelle, ce manque traduit la carence en médecins spécialistes de manière générale et s’explique par les faibles moyens financiers et par la priorité donnée aux autres maladies mortelles qui frappent le continent.

Enfin, le droit des malades mentaux dans les pays africains est symptomatique de la perception de la santé mentale. En effet, au début des années 1990, « seuls 23,4 % des États membres de l’AFRO Région africaine de l’OMS. avaient mis en place une législation relative à la santé mentale qui comprenait des mesures de lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie » [Uznanski et Roos, 1997]. Dans la plupart des cas, lorsqu’il s’agit de déterminer la culpabilité des malades mentaux dans des délits qu’ils ont pu commettre, les dispositions juridiques ne prennent pas en compte ni l’état psychologique de l’inculpé ni la nature de sa maladie si tant est qu’elle soit diagnostiquée.

 

La perception et donc l’approche vis-à-vis de la santé mentale en Afrique est différente de celle des pays occidentaux et pourtant, ces derniers ont développé un système de santé mentale mondiale qu’ils ont essayé de transposer, notamment du fait de la colonisation, aux pays africains, avec un succès limité. »1

 

Source :

Kerouedan, D. (2011). Santé internationale : Les enjeux de santé au Sud. Paris: Presses de Sciences Po. https://doi-org.proxy.bib.uottawa.ca/10.3917/scpo.kerou.2011.01


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