Blog Immigration & Choc culturel

Femme immigrante africaine au Canada, mon témoignage

25 mars 2021



Q: Bonjour Christelle, veux-tu bien te présenter à nos lecteurs? 

 

 Je me nomme Christelle D., d’origine camerounaise (des départements du haut nkam et de la Menoua). Je parle couramment le yemba et je vis au Canada depuis 9 ans.

 

Q: Quelles sont les réalités de la femme noire, africaine au Canada selon ton regard?

 

En jetant un regard d’ensemble, je dirais que les réalités sont d’abord celles de tous les immigrants noirs à savoir : l’intégration (sociale, économique et professionnelle) avec ses réalités. En tant que femme noire nous devons composer avec une nouvelle société qui a ses propres us/coutumes pas toujours parallèles à ceux avec lesquels nous avons été éduquées. Nous devons vivre dans un pays où la femme a un statut avec lequel on compte, où elle peut décider et faire des choix pour elle-même, où elle travaille et étudie aussi fort ou aussi bravement que n’importe qui d’autre. En tant que personne noire, nous nous battons aussi pour combler le gap de la richesse économique avec les autres communauté présentes ici (gap qui est quand même assez conséquent). Ce sont là quelques-unes des réalités que j’observe.

 

Q: Quels sont ses facteurs de stress?

 

Personnellement, je pense que les facteurs de stress vont varier d’une personne à une autre. Le stress ici peut être provoqué aussi bien en famille, qu’au travail ou à l’école même. Ceci peut souvent être dû à notre échelle de valeurs personnelles qui peut être soumise à rude épreuve , car il faut souvent soit se réinventer/recréer pour mieux s’intégrer, soit ramer à contre-courant pour préserver la partie de ces valeurs-là qu’on juge assez importante pour ne pas changer /ou être diluée.

 

Q: Veux-tu bien nous citer quelques exemples de situations qui impactent négativement la santé mentale de la femme africaine d’aujourd’hui?

 

Les violences physiques/verbales/psychologiques dans un couple par exemple. On les banalise dans notre culture, pourtant ce sont des tueurs silencieux.

 

La stigmatisation : nos communautés stigmatisent automatiquement des personnes qui rament à contre-courant et ce même quand elles ont de bonnes raisons de le faire. Trop souvent au lieu de soutenir quelqu’un en détresse, on va l’indexer ou le juger surtout s’il fait quelque chose qui sort de l’ordinaire ou qui n’est pas dans les mœurs africaines.



 

Q: Comment le choc culturel se vit en tant que femme issue de ta culture d’origine ?

 

Je suis de culture Bamiléké, et avec tout ce que ça comporte comme bagage, le choc culturel peut être rude pour une personne issue de ma communauté. Notre culture nous éduque beaucoup au secret en ce qui concerne des choses comme la famille, le mariage et même souvent les affaires.


Ici par contre, nous sommes dans une société où quand ça ne va pas, on peut aisément ou ouvertement en parler ou encore prendre des initiatives bénéfiques ou radicales pour faire bouger les choses (cas des dénonciations en cas de maltraitance par exemple, séparations, etc). Tout ceci peut être très troublant pour certaines personnes. On observe également que la richesse se crée en groupe et non individuellement. Or, dans ma communauté d’origine, on compte beaucoup plus de fortunes individuelles.

 

En ce qui me concerne personnellement, je ne vois pas la différence de culture comme quelque chose de contraignant, dans le sens où ce n’est pas au Canada que je découvre tout ceci. Déjà même au Cameroun, c’est quelque chose que l’on perçoit d’une région à une autre. La culture de l’autre est enrichissante pour nous lorsqu’on y puise des façons de faire ou d’agir nouvelles qui contribuent à notre développement ou à notre épanouissement.


Q: Dans ton éducation, quelles ont les caractéristiques qui sont valorisées chez la femme ?

 

Je voudrai faire une distinction ici car mon éducation n’est pas forcément parallèle à ce que la culture du peuple dont je suis issue préconise.

 

Dans ma culture, une femme doit être soumise, respectueuse, silencieuse et travailleuse en tout temps et en toute circonstance, on va même le lui rappeler très souvent. 

 

Mes parents m’ont éduquée à être quelqu’un de respectueux, de travailleur totalement indépendant, d’humble et qui peut exprimer ce qu’il pense et ressent dans le respect.

 


Q: Qu’est-ce qu’elle peut perdre comme valeurs une fois au Canada ?

 

On perd ce qu’on décide de perdre comme valeur en fonction de nos intérêts et de nos priorités. D’un milieu de vie à un autre et ceci, qu’on soit au Cameroun ou au Canada. Nos échelles de valeurs ou nos priorités changent en fonction du milieu ou des enjeux, c’est normal que l’on fasse un tri par moments.  Contrairement aux enfants qui grandissent ici, il ne faut pas oublier que plusieurs immigrants arrivent déjà adultes ici, donc des êtres qui vont ou pas se recréer/refaire/rééduquer en fonction des enjeux. On ne vient pas se découvrir subitement au Canada, on rentre dans un processus dynamique, dans la continuité de quelque chose.

 

Q: Qu’est-ce qu’elle devrait conserver selon toi ?

 

Le respect, l’empathie, l’écoute, la considération.

 

Q: Qu’est-ce que tu trouves difficile pour l'épanouissement de la femme africaine au Canada? 

 

Le regard de la communauté qui a un grand impact sur la vie de certaines femmes.


Q: Une pratique culturelle de chez toi à valoriser et que tu aimerais partager ?

 

Le communautarisme qui crée la richesse à travers les tontines, même si celle-ci est plus individuelle que commune, mais c’est déjà un bon départ.

 


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