Sylvie Noutie, originaire de l’Ouest Cameroun, vit au Canada depuis 10 ans.

Q: Bonjour Sylvie, peux-tu nous parler de ton parcours en tant que maman monoparentale?

Je ne saurai parler de mon parcours de maman solo sans parler des difficultés que j’ai eu au niveau de l’immigration.  Ma demande de résidence permanente au Canada a été refusée plusieurs fois et ceci a exacerbé les problèmes que je vivais déjà en tant que mère célibataire. À un moment, je devais volontairement m'abstenir de demander toute assistance publique parce que j’avais fait  une demande de résidence permanente sur des bases humanitaires.  Il fallait donc que je démontre que je suis capable de prendre soin de moi et de mes enfants toute seule. Je pense que c’est en ce moment que tout s’est vraiment compliqué.  je faisais deux boulots à la fois pour payer mon loyer et d’autres factures, j’ai aussi beaucoup utilisé les banques alimentaires pour pouvoir joindre les deux bouts. 

Relations avec les enfants

Avoir deux boulots effectivement suppose que j'étais absente la majorité du temps. Je passais moins de temps avec mes enfants et cela m'affectait aussi beaucoup mentalement. Je culpabilisais de toujours laisser les enfants avec d’autres personnes.  j’avais le sentiment de les avoir abandonnés. J'étais toujours fatiguée, d’ailleurs je le suis toujours, mais un peu moins quand même. Je remarquais que mes enfants adoptaient des comportements qui ne reflétaient pas mes valeurs et je me blâmais d’être la cause puisque je n'avais pas vraiment du temps pour eux. Je pouvais les voir souffrir de mon absence mais que devais-je faire?

Relations avec l’ex:

Mon  ex, ou plutôt mes ex, étaient tous deux des démissionnaires et donc absents de la scène. Je me battais toute seule pour subvenir aux  besoins de mes enfants. 

Q: Selon toi, quel est le regard que ta communauté porte sur les mères célibataires

Dans ma communauté, les mères célibataires sont vues comme des femmes qui ont raté leur vie. Comme des femmes coincées qui ne peuvent plus rien accomplir. Elles sont perçues surtout par les hommes comme des femmes vulnérables qui ont à tout prix  besoin d’un homme. Certaines personnes disent qu’elles n’ont plus de chance de se marier. de trouver un vrai homme, etc. 

Dans les communautés religieuses, les mères célibataires sont souvent taxées de pécheresses, de prostituées, ou de personnes dont le diable serait en train de jouer avec la vie. Malheureusement, beaucoup de femmes partagent ces points de vue et contribuent à les perpétuer dans la communauté. D’autres s’opposent même au mariage de leur frère avec une mère célibataire. 

Q: Quelles sont les erreurs à ne pas commettre quand on est un parent seul?

Quand on est un parent seul, il faut tout d'abord mettre les enfants en première position avant toute prise de décision. Avant d’accepter un travail, il faut vérifier si les horaires vous offrent la flexibilité dont vous avez besoin  pour concilier travail et famille. Dans le cas contraire, on n’a pas assez de temps pour tisser et solidifier les liens avec  les enfants, les aider dans leurs travaux scolaires, etc. 

Il est aussi important de faire attention à qui on intègre dans sa vie, Je parle surtout des nouveaux conjoints. La mère ne doit jamais imposer par exemple aux enfants d'appeler  son nouveau conjoint  “papa”.  

Il est également important d’impliquer les enfants dans les décisions les concernant directement et même indirectement. Le choix d’une nouvelle nounou par exemple. Si l’enfant n’est pas à l’aise avec une personne, il vaudrait mieux ne pas confier sa garde à cette personne.

Q: Qu’est-ce qui est le plus difficile dans la monoparentalité au Canada en particulier?

Ce que je trouve vraiment très difficile c’est de pouvoir concilier travail et famille. Il est nécessaire d'avoir une flexibilité dans ses horaires puisque l'école/la garderie peut appeler à tout moment pour un cas de maladie. Cela cause beaucoup de stress quand on n’a pas cette flexibilité.

Q: Quels sont les problèmes de santé mentale qu'on peut rencontrer chez les mamans seules?

Les problèmes  de santé mentale chez les mères solos sont multiples. Pour être brève, je dirai que les mères célibataires vivent le stress au quotidien. cela provient de sources diversifiées. Par exemple la maladie d’un enfant, les problèmes financiers, la recherche de la garderie pour les enfants, ou même l'énergie et le temps qu’on doit investir pour participer aux tribunaux, etc. 

Q: Et les relations avec les hommes? sont-elles plus difficiles pour une maman solo?

C’est forcément plus difficile de s’engager dans une nouvelle relation quand on est une mère celibataire puisqu’on doit d’abord se demander quelles seront les incidences de cette nouvelle relation dans la vie des enfants. En plus, le père (géniteur) des enfants est souvent jaloux de voir son ex avec un autre homme, et utilise parfois les enfants pour nuire à la relation.

Q: Qu’est-ce qui t'a le plus aidé dans ta situation? 

Je dirai tout d’abord que je reconnais ma valeur, je sais qu’être mère célibataire ne fait aucunement de moi une femme qui a echoué, une femme coincée. Je suis multitâche et j’ai utilisé les ressources qui étaient disponibles pour moi et mes enfants. 

Q: Quel est le plus grand soutien qu’on peut apporter à une maman seule et ses enfants?

Selon moi , le plus grand soutien que l’on puisse offrir à une mère celibataire ce sont des outils qui pourront lui donner la flexibilité pour concilier travail et famille tels que services de garde d’enfants,  le soutien dans l’emploi et surtout un appui dans la création d’une entreprise. Je pense que c’est à partir d’un travail autonome qu’une mère celibatire peut réussir cette conciliation avec moins de stress.

Q: Quel est l'impact du célibat sur les autres mères célibataires que tu connais ?

Pour moi le célibat contrairement à ce que pense la communauté n’est pas une tare. Toutefois, je reconnais qu’une figure paternelle est nécessaire pour le développement de l’enfant; qu’il soit un garçon ou une fille. Les autres mères célibataires considèrent souvent les enfants comme une raison de  leur manque d'effort, pourtant les enfants sont pour moi la raison pour laquelle je dois devenir meilleure. 

Q: Quelles leçons tirer? quels apprentissages?

Être une mère solo n’est pas la fin du monde, IL est possible de réussir sa vie en étant mère célibataire. Ce n'est pas facile mais ce n’est pas non plus impossible.

Q: Qu'est-ce qui selon vous pourrait favoriser le bien-être des enfants immigrants ?

Un parent épanoui signifie aussi des enfants épanouis. Par là je veux dire que le bien-être des enfants immigrants dépend en premier du bien-être de leurs parents.

Q: Quels conseils donneriez-vous aux parents immigrants en ce qui concerne la santé mentale de leurs enfants?

Il faut  observer, écouter et comprendre les enfants. Apprendre les compétences parentales canadiennes qui ne sont pas forcément les mêmes que celles de nos pays d’origine. S’informer sur les problématiques des enfants et pourquoi pas prendre des cours sur le développement de l’enfant?

Q: Quelles sont vos suggestions pour le système éducatif au Canada ?

Le système éducatif canadien doit inclure des cours  sur le multiculturalisme car si les immigrants rencontrent des problèmes à cause de leur mauvaise intégration, il n’en demeure pas moins qu’il existe un problème d’inclusion de la part des non-immigrants. 

Propos recueillis par Yann Vivette TSOBGNI